Grandir dans une secte et en sortir
La reconstruction et la résilience
Il y a partir de la secte et il y a sortir de la secte, deux choses bien distinctes.
Dans un premier temps, des idées, des doutes, des pensées viennent à la surface et participent à l'émergence de questions de fond, une analyse entre les actes et les paroles et le constat amère que les apparences de ce qu'il se passe ne sont pas forcément la réalité.
Que ce soit sur des aspects financiers ou des aspects de fonctionnement du système interne, des relations entre les uns et les autres, du rôle et du comportement du fondateur envers les uns ou les autres ou encore une réflexion miroir sur la question des abus physiques ou sexuels, tous ces éléments permettent la réflexion et la remise en question du dogme établi.
Dans notre cas, alors même que nous étions habités par la présence "du Lama" depuis notre plus tendre enfance, alors même que son nom était dans nos pensées, que sa voix suffisait à nous stopper net dans telle ou telle action ou velléité d’action, le partage d'idées en groupe, notre complicité en tant qu'amis de toujours et compagnons de galère a certainement participé à l'émergence d'une prise de conscience partagée qui s'est répandue comme une traînée de poudre parmi les jeunes une fois qu'elle a atteint une certaine masse critique.
En 2010, un vent de révolte soufflait dans la OKC déjà depuis 2006 et 2008 avec la révélation d'abus sexuels sur nos camarades, nos sœurs, c'était la goutte de trop, personne ne voulait être silencieux et encore moins complice d'abus sexuels.
Une chose était de ne pas savoir ou d'être dans le mutisme de l'endoctrinement, autre chose était de savoir, d'avoir fait une enquête interne établissant au moins 6 cas d'abus sexuels de la part de Robert Spatz alias "Lama Kunzang", fondateur de la OKC, et puis ne rien dire, ne rien faire, s'enfuir en laissant cette monstruosité continuer en toute impunité.
Des lettres ont été écrites à Spatz, lui intimant l'ordre de laisser partir 2 victimes soupçonnées d'avoir été abusées en 2010 et les laisser retourner auprès de leur mère : choc des réalités, dissonance cognitive, manipulation de la secte pour prétendre que "les jeunes" étaient devenus fous, manipulation des victimes pour qu'elles déclarent "volontairement" ne pas avoir subi le moindre abus, utilisation d'un faux libre arbitre pour prétendre qu'elles étaient maîtresse de leur vie et de leurs choix.
Dans ces lettres signées “l’Attitude Collégiale" (nom de cette entreprise en interne exposant les abus et forçant les adeptes à comparer le "spatzisme" avec le bouddhisme), nous avions exprimé l'idée que si les victimes n'étaient pas remises en liberté, nous allions dénoncer toute la situation dans les médias et plus si nécessaire.
Bien entendu nous n'avions aucune expérience pour faire quoi que ce soit, l'idée même d'aller à la Police, en Justice, était un tabou, un mur infranchissable, un but annoncé à voix haute, mais laissé à l'état d'idée, de mots, sans actions de suivi, chacun étant bien trop occupé à reconstruire sa vie hors de la secte ou se préparant à la quitter définitivement.
Partir de la secte c'est utiliser une opportunité pour s'enfuir, partir de zéro, recommencer une vie avec un compagnon ou une compagne, sans nécessairement faire tout un travail de déconstruction, c'est aussi s'adapter à la vie à deux, parfois même avec l'arrivée d'un enfant, déclencheur de la fuite de la secte avec la prise de conscience sans aucun doute qu'il n'est pas question de faire venir un enfant au monde dans un tel environnement.
Partir de la secte sans la déconstruire c'est aussi parfois garder des liens, même distants, avec des adeptes de la secte, c'est cet état de confusion dans lequel en même temps il y a une sortie de l'emprise de la secte dans le mental et puis il reste des liens affectifs, d'amitiés, humains avec des gens qui ont été, malgré tout, une famille, même si dysfonctionnelle, voir complice.
Cet état de flottement entre partir de la secte et sortir de la secte peut durer des années, d'aucuns y trouvent même un compromis, retrouver leur liberté en dehors de la secte et en même temps ne pas perdre tout son cercle social en décidant de ne pas parler des sujets qui fâchent, voire en omettant volontairement d’aborder des sujets controversés, ne pas provoquer de remise en question trop difficile à mettre sur la table, éviter de provoquer les mêmes remises en question qui ont participé au germe du doute.
Et puis il y a sortir de la secte, couper le cordon rouge, se réapproprier les mots du langage, appeler un chat un chat, appeler un viol un viol, parler d’un pédocriminel au lieu d'un lama, d’un monologue d'endoctrinement au lieu d'un enseignement, d’un spatzisme au lieu d'un bouddhisme.
Mais surtout se forger une identité, se réapproprier son nom, essayez étape par étape d'aller à l'encontre de ses propres limitations, sortir de sa zone de confort et apprendre, désapprendre beaucoup, réapprendre, trouver des personnes avec qui échanger pour établir un regard extérieur sur son propre vécu et ainsi forger une perception dénuée d'endoctrinement pour mieux percevoir ce qui a été vécu au sein de la dérive sectaire.
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